lundi 28 janvier 2013

Comment devenir un écrivain riche et célèbre (3/5)

Les fidèles des étapes 1 et 2 l'ont compris, ma méthode magique de compréhension ultime des méandres de l'Univers Littéraire Microcosmique ne ramène pas l'être aimé, ne guérit pas les jambes de bois, mais, avec un peu de chance et de tequila paf, vous vous en paierez une bonne tranche.

Étape 3 : Contamination

Pour transformer l'essai, il faut t'ancrer au milieu. Tu dois te rendre indispensable, incontournable, inestimable. Il faut donc sauter sur tous les projets qui bougent, ne compter ni ton temps ni ton énergie. Lâche les faibles, courtise les forts. Incruste-toi à la moindre hésitation, à la plus petite fissure dans un sommaire de grands. Adapte-toi en permanence. Ce faisant, tu réussiras le tour de force de te faire inviter dans les anthos fermées, sans avoir jamais rien publié (ou si peu). Mais peu à peu, comme un cercle vertueux, publier te rendra publiable. Là, on présuppose que tu as un minimum de savoir-faire en écriture, parce que rien ne remplace le piston, euh, le talent.

Fais comme si tu étais un pro. Les autres n'y verront que du feu.

Il est temps de lâcher ton premier roman. Et d'avoir la suite sous le coude, si le vent souffle du bon côté. Parie sur un petit éditeur passionné, qui fera du bon gros boulot, défrichera ton torchon, corrigera toutes tes fautes de grammaire, d'orthographe, de concordance des temps, de positionnement de virgules, défendra ton bébé, le portera à bout de bras. Sa réputation fera la tienne. Puis, pour avancer, multiplie les projets. Boucle un autre roman qui ne peut pas intéresser ton premier éditeur, pour le lâcher en douceur maintenant qu'il ne t'est plus d'aucune utilité. Tu as déjà vu l'état d'une rampe de lancement après le décollage de la fusée ? C'est l'idée.

Le coup de maître de la contamination : signe avec ton second éditeur une série par avance. Seul le tome 1 est écrit ? Tu n'as aucune idée de la manière dont tu atteindras le tome 8 ? Nevermind ! Crois-y, et les autres croiront en toi. Si tu disposes de l'atout imparable du "sans vrai travail", c'est le moment d'en tirer parti. Tu dois être à 200% centré sur ta carrière d'auteur à succès. Pas de travail, pas de famille, pas de patrie. Le top du top étant de te faire inviter en résidence d'auteur pour bosser sur ton octalogie. Mais là, bon, en toute honnêteté, on touche du doigt le sommet du grand art.

Monte en épingle la moindre de tes nominations à des prix ou la plus petite notule sur tes écrits. Raconte que tu es sélectionné au premier tour du Prix Merlin, ou du Rosny Aîné, selon la catégorie dans laquelle tu boxes, et peu importe si tous les textes parus l'année précédente sont repris d'office.

Logiquement, cela fait bien longtemps que tu es inscrit aux listes de diffusion, que tu as créé un blog, un site, un live journal, une page fan Facebook, un compte twitter, tu veux devenir un winner, WTF.

N'hésite pas à prétendre que tes œuvres forment un tout cohérent, un schéma unique, extrêmement complexe et élaboré. Seuls les lecteurs attentifs et titulaires d'un doctorat de mathématiques (une préférence pour les sujets de thèse un peu originaux, je ne sais pas, moi : analyse par ondelettes de champs stochastiques anisotropes et à accroissements stationnaires, par exemple) seront aptes à suivre le cheminement de ton esprit tortu()eux.

Cite des types morts en exemple, ça fait toujours de l'effet (et en plus, ils ne peuvent plus se défendre).

Si tu as contaminé correctement, tu n'as pas eu besoin de créer toi-même (sous pseudo) ta page Wikipédia. Et tu es maintenant prêt à déclencher l'avant-dernière phase du plan de conquête de la Littérature : étape 4, la propagation.

lundi 21 janvier 2013

Comment devenir un écrivain riche et célèbre (2/5)

Je rappelle à toutes fins utiles que je ne suis ni riche, ni célèbre, ni même écrivain, ce qui me confère sur le sujet évoqué une légitimité équivalente à celle de Lio quand elle essaie de parler de talent.

Vous qui cherchez néanmoins le moyen infaillible de devenir un écrivain riche et célèbre, passez par l'étape 1, ne recevez pas 20 000 et suivez le guide :

Étape 2 : Verrouillage

Bon. Tu es un lecteur (oui, je te tutoie, tu es des nôtres, désormais). Un agneau parmi les loups. Tu es infiltré. Les gens de l'Univers Littéraire Microcosmique te connaissent de vue, et ils te disent bonjour. Tu achètes les dernières nouveautés des maisons d'édition que tu cibles. C'est bien. Tu discutes avec les éditeurs, auteurs, illustrateurs, critiques, chefs de collection. C'est mieux. Si tu n'es pas un handicapé social, tu arrives à faire illusion, genre hi hi, wah wah, qu'est-ce qu'on s'éclate, je m'intéresse à vous parce que vous êtes trop cools (et donc moi aussi), et non parce que je peux en retirer un avantage à terme.
Alors, le plus efficace, c'est de donner un coup de pouce au destin, de forcer la main sa chance. Il faut apporter son aide. Participer à l'organisation. À la logistique des festivals. Reprendre la todo list de l'étape 1. La phase est délicate. Les gens peuvent commencer à savoir que tu écris. Mais pas vraiment sérieusement. Plutôt parce que tu admires tellement des vrais auteurs (comme eux) que tu ne peux pas t'empêcher de faire (comme eux), d'aligner des mots sur la page. 5 ans plus tard, tu jureras tes Grands Dieux que déjà au berceau, ta mère te lisait Deleuze. Mais là, le but est de paraître inoffensif. Et puis, un bon contact, un éditeur vaguement naïf, ou une relation que tu as su (ré)activer au bon moment, et hop, tu tiens ta première publication. Si tu peux regarder le sommaire de ta grande première en te demandant ce que tu fous là, comment on a pu te laisser une place au milieu des cadors du genre, alors tu tiens le bon bout.

À ce stade, un atout indéniable se détache, qui te fera gagner de précieuses années dans ta quête de célébrité littéraire. Tu ne dois pas avoir de vrai travail. Ni avoir besoin de travailler pour subsister. Au choix : papa paie ton loyer (durablement), ton conjoint roule sur l'or, tu as hérité de mamie Gélatine, maman t'a réservé les jetons de présence du Conseil d'Administration de sa boîte. Tu dois pouvoir crier que tu rêves d'être écrivain à temps plein, et que tu es prêt à tous les sacrifices pour ça. C'est sûr, c'est plus facile quand on n'a pas besoin de gagner sa vie.
Au pire du pire, si vraiment tu ne parviens pas à faire autrement, sois enseignant. L'endurance orale te sera précieuse lors des salons, festivals, rencontres, dédicaces, tractations éditoriales.

Voilà. Mais, chers lecteurs... je vous sens déçus. Vous en êtes déjà parvenus à ce stade ? À force de ténacité et de crocs-en-jambe, vous vous êtes verrouillés sur votre objectif comme un parasite sur un hôte récalcitrant ? Vous vous demandez que faire désormais ?

Pas de panique, vous trouverez toutes les réponses dans notre prochaine édition : étape 3, contamination.

lundi 14 janvier 2013

Comment devenir un écrivain riche et célèbre (1/5)

Gageons qu'avec un titre aussi (pro)(é)vocateur, je vais au moins générer le double de mon trafic coutumier. Manquerait plus que je parle de Justin Bieber ou Lorie et Depardieu (quoi, ils sont ensemble en Belgique russe à danser dans The Voice ?) et ce serait la ruée, la curée, l'épicurée. Oups, tiens, ba c'est fait.

Bref. Aujourd'hui, du haut de mes 10 ans d'expérience d'écriture, de tentatives de publication, de réussite(s), d'échecs, de plantages dans le mur et de bisbilles en tous genres, je vous livre le Saint Graal de la profession en 5 étapes. Pas le mien puisque force est de constater que je n'en suis pas au niveau requis − je ne suis ni riche, ni célèbre, ni, à bien y réfléchir, écrivain. Mais disons qu'il s'agit d'une compilation, d'un best-of de pratiques honteuses efficaces pour percer en SFFF.

Étape 1 : Infiltration

Le B.A. BA de la réussite littéraire, c'est la connaissance. Knowledge is power comme disait l'autre, et encore, je vous dispense de la version hongroise. Pour commencer votre carrière littéraire, il faut donc vous immiscer dans le milieu visé, mais pas avec vos gros sabots d'auteur bouseux du dimanche. Non. Il faut vous intégrer progressivement par la voie de moindre résistance, la voie flatteuse, la voie de la LECTURE.
Parce que vous entendrez dire qu'il y a plus d'auteurs que de lecteurs, parce que les écrivains sont des égocentriques en perpétuelle recherche de sens et de reconnaissance, votre passeport pour la gloire se nomme la lecture. Know your enemy.

Vous pouvez au choix (liste non exhaustive) :
  • monter un fanzine (3 ou 4 numéros suffiront)
  • animer un blog de lecture (ne commettre que des critiques positives avec l'excuse pratique que "vous ne parlez que de ce que vous aimez")
  • créer une maison d'édition (vous vous éditerez vous-même plus tard devant la pression de vos fans)
  • beta-lire les autres wannabe
  • diriger une anthologie (en un appel à textes ouvert, vous connaissez presque tous les wannabe auteurs du moment)
  • faire de la traduction (là c'est coup double : vous rendez service et vous vous forgez des contacts de la mort)

Les meilleurs parviennent à cumuler plusieurs rôles.

NB : rassurez-vous si vous n'y connaissez rien. La plupart de ceux qui égrènent la liste précédente non plus. Qui plus est, il n'est pas rare que des projets d'édition capotent, sans raison, sans justification autre que "mais tu sais, moi, je fais ça bénévolement, ma mère est malade, mon chien est parti". Et Dieu sait pourtant que c'est douloureux l'absence d'un partenaire canin aimé. Il faut donc avant tout que les autres entendent parler de vous. Lorsqu'il sera évident que vous êtes un escroc, vous serez passé à autre chose depuis longtemps.

Rendez-vous dans 1 semaine pour l'étape 2 : le verrouillage.

lundi 7 janvier 2013

Betty

Court roman (mais non, je ne suis pas obsédé par les novellas...) d'Arnaldur Indridason, par lequel j'ai commencé avant de plonger (peut-être) dans sa série sur le commissaire Erlendur dont on entend dire le plus grand bien, à commencer par sa Cité des Jarres.

Un exercice d'écriture, sans aucun doute, et sûrement un gros boulot à la traduction.

C'est noir, direct. L'histoire est assez prévisible, simple, quoique bien écrite. Récit dynamique, à la première personne, en flash-back, et le twist de milieu d'intrigue, renversant, dans lequel je suis tombé. Pourtant, un léger décalage dans les mots, dans les tournures de phrases, interpelle, sans que j'aie mis le doigt dessus avant qu'il soit trop tard.

Chapeau rien que pour cet aspect, c'est tout l'avantage des textes courts : l'expérimentation. Et là, c'est réussi.

mardi 1 janvier 2013

[S3] Un vœu pour Noël



À l'occasion de la nouvelle année, une short short de circonstance !

Un vœu pour Noël



Ma fille jouait avec ses poupées en fredonnant la chanson de générique du dernier Roi Lion quand, sans même détourner les yeux de son jeu, elle a dit :
« Si tu pouvais faire un vœu, n’importe lequel, ce serait quoi ? »
J’ai soupiré, je l’ai regardée. Dehors, le vent soufflait. Il était 17h mais la nuit était déjà tombée. On nous annonçait une tempête d’anthologie, une histoire de fin du monde à l’approche de Noël, quelque chose avec les Mayas que je n’avais pas bien saisi, ou pas voulu comprendre.
Ma fille avait cru que la radio parlait de Maya l’abeille.
« Je ne sais pas. Peut-être travailler moins, pouvoir passer plus de temps avec maman et toi. »
J’ai ressenti un pincement au cœur. Le boulot… Il fallait y passer tellement de temps, y dispenser tant d’énergie, pour satisfaire d’éternels insatisfaits. J’étais usé par mes années de labeur, mon costume trop grand dont j’étais si fier jusqu’alors, me sortait dorénavant par les yeux et je ne redoutais rien tant que le décrocher de la penderie pour l’enfiler, moment qui était précurseur de journées infernales. Je ne m’en étais même pas défait en rentrant, comme s’il s’était agi d’une seconde peau, comme si je n’existais pas en dehors.
Je sentais qu’il allait neiger. Encore une galère. Gérer la logistique, par un temps aussi exécrable, c’était double corvée, triple punition. Il y aurait des retards, des clients mécontents, de la marchandise abîmée, bradée, refusée. Encore. Et, une fois encore, je ne passerai pas les fêtes avec ceux que j’aime.
Ma fille a dégrafé les habits de princesse de sa poupée préférée – celle avec le fard à paupières vert jade – et s’est évertuée à lui enfiler une tenue visiblement trop petite et plus adaptée aux bimbos de chez Mattel qu’aux adulescentes de Disney.
Renonçant bientôt devant l’ampleur de la tâche, elle a repoussé ses cheveux en arrière en levant les yeux au ciel, comme une petite grande qu’elle était.
« Ça m’énerve. »
J’ai souri, mais, avant d’avoir pu trouver un trait d’esprit pour dédramatiser, elle a enchaîné.
« Moi, si je pouvais faire un vœu, je voudrais que ce soit Noël tous les jours. »
Dans la rue, les décorations accrochées au réverbère se sont illuminés comme pour lui répondre, et elle a gloussé.
Mon sourire s’est figé.
« C’est une excellente idée, ma chérie » ai-je dit, mais le cœur n’y était pas.
Dans un élan de tendresse, je l’ai serrée contre moi.
« Tu me fais mal. »
Je l’ai embrassée sur le front, elle est partie vers les escaliers, direction la cuisine, où sa mère chantonnait la même chanson du Roi Lion.
J’ai regardé mon costume rouge froissé, mon bonnet fourré qui me donnait des rougeurs sur le front, ma hotte de travail.
Noël tous les jours.
Pitié, tout mais pas ça.