mardi 26 février 2013

[S3] Une question sans réponse

En 2008, les éditions Dreampress.com, emblématique éditeur de la revue (devenue anthologie) Ténèbres ont lancé un appel à textes intitulé : Méchants !

Il s'agissait d'écrire à son méchant préféré… (S.-F., fantastique, fantasy et thriller en littérature, au cinéma ou à la télévision). Conditions de participation : donner le nom du méchant choisi. Rédiger une lettre à son intention de 15 000 signes maximum (y.c. espaces) replaçant le méchant dans son contexte et faisant preuve d’originalité, d’imagination et de qualités littéraires.

J'avais adressé Une question sans réponse à Dreampress.com et avais eu le plaisir d'être sélectionné. Fin 2009, joie et félicité, acceptation, demande de renseignements, l'anthologie arrive, elle est au four, la cuisson est bientôt terminée...

Et depuis, black-out total. Fin 2010, je relance. On me dit, "ça va venir". Divers échos depuis lors me font penser que les Méchants ! sont bel et bien enterrés. Les méandres de l'édition, guerre et paix, joie et peine, amour et haine.

Aussi, je profite de ce capotage pour proposer à votre sagace lecture le texte prophétiquement titré :


Une question sans réponse


Vous mes amis le soleil vous inonde,
Vous dites que je sortirai de l'ombre,
J'aimerai bien vous croire mais mon cri renonce,
Ma question reste toujours sans réponse

Mike Brant, Qui saura



Chère teigne,

J’espère que cette lettre te parviendra par-delà les mondes. Voilà bien longtemps que tu ne hantes plus nos écrans, uniquement ma mémoire et mes rêves. Bien que tu aies disparu de la circulation, on trouve encore quelques images de toi, éparses, toujours aussi effrayantes. Ta violence, primitive, bestiale, était ton plus évident signe distinctif. Tu as toujours été si fier, si suffisant. Ta cruauté gratuite n’avait d’égal que ta ténacité. C’est ce qui a fait de toi un grand méchant même si tu as connu une gloire éphémère.

À ton époque, il était inconcevable de traverser une forêt sans craindre pour sa vie, la peur au ventre, priant pour ne pas croiser ta route ni entendre retentir ton rire insane. Tu crachais ta vengeance sordide à la face de l’Humanité, sans honte de ce que tu étais, y puisant force et plaisir, te nourrissant de la peur, te rassasiant des cris de panique.

Bien sûr, pour beaucoup tu n’es plus qu’un lointain souvenir un peu amer mais je n’ai jamais pu t’oublier. Je ne me rappelle que trop bien ton regard noir et haineux, et le souffle de ta tronçonneuse quand tu t’approchais pour taillader les chairs. Tu aspirais à barbouiller l’univers d’écarlate.

On ignore tout de tes origines mais je devine que ta silhouette bouffie est le produit de quelque expérience consanguine, que tu es issu d’une longue et pénible dégénérescence génétique. Et quand on pense que, sous cette folie, il y avait un homme bon, comme les autres, un homme qui s’appelait Maurice.

À l’image de tes semblables, tu as survécu à tout. Ce dont tu as réchappé, aucun homme n’aurait pu l’endurer. Frappé par la foudre, expulsé d’une camionnette roulant à tombeaux ouverts, piétiné par un camion, roué de coups, passé à tabac par une vingtaine de gros bras… Rien n’y a fait. Tu t’es relevé de chacune de ces épreuves, plus fort, plus fou, plus féroce. Tu avais de quoi susciter l’admiration ou, à tout le moins, une fascination maculée d’écœurement. Il n’y a guère que face à la famille Addams toute entière que tu as perdu de ta superbe, échouant dans un container à ordures.

Ensuite, tu t’es fait discret. Tu as été détrôné par d’autres énergumènes, plus modernes, et à l’antipathie plus souterraine. Ta méchanceté était trop évidente, tu la portais comme un étendard. Les bad boys comme toi ont toujours été des produits périssables.

J’avais espéré me défaire un jour de ton influence démoniaque, de ton rire glaçant, mais force m’est d’admettre que tu berces toujours mes cauchemars depuis plus de quinze ans.

Oh bien sûr, les autres ne peuvent pas comprendre la terreur muette que tu m’inspires et l’emprise que tu exerces sur moi. Ils ont des démons fantasmés, surpuissants et hideux. C’est ton humanité qui fait de toi un monstre à part, un monstre qui me tétanisera toujours plus que n’importe quel Alien, Gripsou ou Dracula.

Je voulais juste te dire, avant que tu ne joues les fiers à bras, que tu ne me fais plus peur. J’ai vaincu mes démons, je t’ai affronté, j’ai bu la coupe jusqu’à la lie, oui, j’ai arraché ce sourire suffisant de ton visage, serré de mes mains ta gorge jusqu’à faire jaillir ton sang : je t’ai bu, j’en ai eu le souffle coupé, horrifié par mon acte démentiel. J’ai aspiré ta vie, depuis la plaie à vif, recrachant le liquide. Des haut-le-cœur se frayaient un chemin pour extraire ta substance de mon être mais j’ai tenu bon.

Je n’ai plus peur, désormais.

Il ne subsiste plus que cette question, entre nous, qui n’a pas su trouver d’écho. Même si je crains de connaître la réponse que tu me feras, je ne peux que te laisser cette ultime chance de t’expliquer sur ta conduite. Considère-le comme une main tendue, la dernière occasion que tu auras de faire valoir ta version des faits, au lieu de laisser le monde spéculer.

Alors ?

Orangina rouge, pourquoi es-tu aussi méchant ?



Explications :

Avec l'idée de répondre à l'AT Méchants est venu un constat : des méchants de S.-F., fantastique, fantasy et thriller en littérature, au cinéma ou à la télévision... il y en avait tout simplement trop ! Trop pour en élire un seul, trop pour en laisser tant de côté. Et puis je me suis dit que le méchant ultime, c'était, au fond, celui qui avait su marquer les esprits avec un temps de parole très court. J'ai pensé à la pub. De là, il n'y avait plus l'embarras du choix.
Orangina rouge, c'est un méchant drôle qui se prend au sérieux. Un costume grotesque et de la méchanceté pure, sans justifications et sans limites. Mais rien ne se passe pour lui comme il devrait. Et heureusement pour nous...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire